Terrotet

Les hameaux de Cervens

TERROTET

 

XVIème siècle

Dans un document[1] datant de 1568-1569, établi pour la perception de la gabelle du sel[2], le hameau de Terrotet n’est pas mentionné. Il n’existait probablement pas à cette époque !

 

XVIIIème siècle

Un siècle et demi plus tard, en 1732, on trouve à l’emplacement de l’actuel Terrotet un petit hameau nommé Chosoz, à 500 mètres au nord du chef-lieu. Il est constitué d’un ensemble de cinq parcelles bâties portant les numéros 644, 646 à 649 : ce sont respectivement une grange, une maison, un moulin, un pressoir et un four. Il faut y ajouter une place (n° 643 et 650), un jardin (n° 642), un étang (n° 652), un chenevier[3] (n° 641). L’ensemble est entouré de champs et de prairies, dans une zone peu accidentée et facile à travailler. Traversé par le canal des Moises, le hameau est à proximité immédiate du chemin principal de Cervens à Perrignier et Draillant (l’actuelle route de Terrotet prolongée par la route de Létroz et celle de Fougueux)

 

XIXème siècle

Notre hameau s’appelle maintenant Terrotet. Au moment du Rattachement de 1860, plusieurs modifications du bâti sont apparues. Les constructions au bord du canal ont été réduites et un grand bâtiment est apparu de l’autre côté du chemin (actuel chemin de la Boulangerie), desservi par une vaste cour, comme le montre l’extrait du cadastre de 1870 ci-contre. À usages d’habitation et agricole, il accueillera, vers 1870-1872, la famille Jordan-Meille originaire d’Habère-Poche venue s’installer de ce côté-ci de la montagne. Ce bâtiment existe encore aujourd’hui, sans avoir reçu des transformations majeures.

Quelques dizaines de mètres en aval, une petite construction abrite maintenant un moulin ou un pressoir, animé par une roue au fil de l’eau[4]. Il faut remarquer – comme pour les autres roues le long de ce canal – qu’à cette époque le débit était bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui et permettait d’obtenir des puissances suffisantes pour les industries qu’il alimentait. C’était le batieu[5]. Des Anciens du village s’en souviennent : « C’était le seul pressoir à roue du village. En saison, il tournait jour et nuit pour battre le chanvre, râper les pommes pour la maude, etc. » Il ne reste, aujourd’hui, que quelques traces des fondations du pressoir.

En 1886, le hameau est constitué de deux maisons qui abritent deux ménages et seize habitants

• Maurice François Jordan-Meille, agriculteur venu d’Habère-Poche et sa nombreuse famille,
• François Cadoux, déjà âgé, son gendre Henri Ducret, son épouse et leur deux jeunes enfants. François et son gendre sont meuniers ; leur moulin, au fil de l’eau, est installé dans la maison qui correspond à l’actuel 47 chemin de la Boulangerie. Les traces du système de broyage sont restées visibles dans la poutraison de cette maison jusqu’à la transformation réalisée au début des années 2020. Une roue, probablement au fil de l’eau, complétait l’installation.

Vers 1890, le hameau s’agrandit. Paul Gaillard et sa sœur Monique, originaires d’Allinges s’y établissent. Paul, maître de martinet, installe sa forge à l’entrée du hameau, sur la route principale, dans un bâtiment nouvellement construit. La roue à aubes[6] est alimentée par le canal des Moises. Voir l’article La forge de Terrotet.

En 1896, le meunier Cadoux est remplacé par le meunier Joseph Depraz, originaire de Sciez, son épouse et leurs enfants. Cette famille a probablement rencontré des difficultés professionnelles importantes puisque leurs cinq enfants sont respectivement nés, entre 1883 et 1891, à Anthy, Thonon, Bernex, et Draillant. Ils resteront à Terrotet jusqu’à l’installation, vers 1900, de François Jordan-Meille (fils de Maurice François) né à Habère-Poche en 1871.

 

XXème siècle

Dans la première décennie du XXème siècle, c’est un boulanger, et non plus un meunier, qui va exercer son art. Une roue à aube, un arbre de transmission avec renvoi d’angle et traversée sous la route sont construits pour alimenter un pétrin mécanique (électrifié plus tard) ; un four est installé probablement à l’emplacement qu’il a conservé jusqu’aux années 1970. Aujourd’hui dans une maison d’habitation privée, une partie du four a été conservée.

En 1912, François Jordan-Meille fait couvrir sur une longueur de 16 mètres le bras de rivière qui passe sous le Pont de Terrotet (voir plan ci-dessus) et entreprend la construction d’un vaste hangar encore utilisé aujourd’hui.

De François et de son épouse Louise, naitrons une « dynastie » de boulangers : Gustave, qui sera au four jusqu’à son décès en 1974 – il assurera aussi les tournées de livraison –, Charles au pétrin, Alice et Aimée au magasin. Les quatre frères et sœurs seront parfois aidés par un ouvrier boulanger et un charretier.

C’est le décès de Gustave, en 1974, qui met fin à la fabrication d’un pain que tous ceux qui l’ont gouté s’accordent à trouver digne d’éloges et qui n’a, depuis, pas trouvé d’équivalent ! Un dépôt de pain a ensuite fonctionné deux ans, jusqu’à ce qu’Alice prenne une retraite bien méritée.

Le bâtiment de la boulangerie, transformé aujourd’hui en habitation, avait été construit à la Libération, englobant le four bâti au début du siècle.

De 1896 à 1946, le hameau comporte trois maisons qui abritent entre trois et cinq ménages et une moyenne de vingt habitants. Ce qui correspond à une population assez constante et nombreuse. Dans les années 1950-1970, elle a décru assez fortement. Mais aujourd’hui, de nombreuses constructions, édifiées progressivement à partir des années 1990, forment un tissus continu d’habitations qui relie Terrotet au chef-lieu : la notion de hameau est devenue toute relative !

Au sud-est, Terrotet était bordé d’une zone marécageuse, traversée par un sentier qui permettait aux habitants de Pessinges d’avoir un accès direct à la boulangerie. Une route (la route des Lanches) l’a remplacé depuis les années 1970. Cette zone, dite des Lanches, était devenue au cours du temps, un grand ruclon[7], heureusement assaini vers 1980, qui a laissé place à la zone artisanale que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

 

 

 

Extraits de la mappe sarde de 1732.

 

Cadastre de 1874. La boulangerie et l’atelier de la forge n’existent pas encore. Archives départementales 74.

 

La boulangerie de Terrotet en 1960. Le boulanger Charles est sur le pas de la porte du fournil ; à droite sous le balcon, l’entrée du magasin (le bâtiment a été construit vers 1946-1948). Tout à gauche du cliché, on devine le hangar construit en 1912. La partie couverte de la rivière est juste devant ce hangar.

 

 

[1] Centre généalogique de Savoie, Gabelle du sel-Cervens, 2006. (http://www.cgsavoie.org).

[2] Apparu en Savoie vers le milieu du XVIème siècle, cet impôt très impopulaire taxait lourdement le sel que les particuliers devaient acheter pour la conservation des aliments et la nutrition animale. Après bien des vicissitudes, il a été supprimé à la fin du XVIIIème siècle.

[3] Parcelle réservée à la culture du chanvre dont les fibres avaient de multiples utilisations notamment pour le tissage de toiles et la fabrication de cordages.

[4] Au fil de l’eau : l’eau entraine les pales de la roue en passant en-dessous. C’est le courant du canal qui apporte l’énergie nécessaire.

[5] Dans le Dictionnaire du Chablaisien d’André Depraz, on trouve : « Batioret : appareil de bois pour broyer le chanvre. » (J. C. Fert-éditeur, Yvoire, 1998).

[6] Roue à aubes : l’eau est amenée au-dessus de la roue ; c’est son poids qui provoque la mise en rotation. Plus la quantité d’eau dans les godets est importante, plus la puissance de la roue est grande, ce qui nécessite un débit suffisant du canal.

[7] Autrement dit, une décharge d’ordures.