En 1857, époque où le rattachement n’était pas encore à l’ordre du jour, le royaume de Piémont-Sardaigne avait accordé à une compagnie italienne la concession d’une ligne de chemin de fer à caractère international destinée à relier Genève au Valais par Thonon, Evian et entrant en Suisse par Saint-Gingolph. La concession devient caduque lorsque la Savoie devient française, elle est annulée le 30 mars 1864.

Sous l’impulsion du PLM (Compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée, crée en 1857 par Paulin Talabot), la ligne de Longeray-Léaz (peu après Bellegarde) à Saint-Gingolph est concédée à ladite compagnie par décret du 18 juillet 1868.

La ligne ouvre le 30 août 1880 jusqu’à Thonon, elle est prolongée à Evian le 1er juin 1882 et atteint Saint-Gingolph le 1er juin 1886. Elle est fermée aux voyageurs au-delà d’Évian le 15 mai 1938 et à tout trafic en 1988.

Pourquoi la « station » de Perrignier (cercle rouge sur la carte) a-t-elle été construite « au milieu de rien » ? Probablement parce que, sur quelques centaines de mètres, la voie est en palier, au sommet de deux montées assez fortes, de part et d’autre. Sur la carte ci-contre, datant de l’époque de l’ouverture, aucune route, aucun chemin de quelque importance ne dessert la station. Il a donc fallu agrandir et consolider des chemins, en faire des routes carrossables : c’est à cette époque que sont transformés en route le chemin de Cervens à l’Oratoire, prolongé ensuite jusqu’à la gare.

Pour les usagers de ce nouveau moyen de transport, les habitudes de déplacement se sont trouvées modifiées : on pouvait désormais aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite. Cervens se trouvait à seulement 2,5 km du rail soit à moins de 30 minutes : à cette époque, la marche à pied était une pratique naturelle !

Marie Colin, originaire de Meurthe-et-Moselle (sa famille avait fui les persécutions de la guerre de 1870) et institutrice à Cervens à la fin du XIXème siècle, est assez réservée sur l’utilité du chemin de fer ; elle raconte dans ses souvenirs : « En 1884, le château [dont une partie est devenue le Bar fleuri] était la propriété de la famille Bossus Célestin. Il avait appartenu aux Buclin, au comte de Cervens qui avait rajouté les tourelles, aux Dubouloz qui l’avait embelli, transformé … puis avaient abandonné la demeure quand la voie ferrée fut construite en [18]78. Cette voie causa un tort immense à la contrée, toutes les riches familles abandonnèrent leurs demeures pour s’établir à Thonon. » Le chemin de fer a néanmoins permis le développement du commerce et l’avènement du tourisme… en attendant la prolifération de l’automobile.

C’est de la gare de Perrignier que partirent les hommes mobilisés le 2 août 1914, c’est là aussi que les non-mobilisés ont mené, la mort dans l’âme, les chevaux et le bétail réquisitionnés par l’Armée quelques jours plus tard, laissant les moissons inachevées.

La gare de Perrignier est la gare la plus proche d’Habère-Poche et du haut de la Vallée Verte. Les Dhabérants s’y rendaient à pied en passant le col de Cou : le café Peillex et le café Bossus ont dû voir s’arrêter un grand nombre de ces voyageurs. Irène Peillex (1916-1992), ultime épicière du chef-lieu (elle a fermé son magasin dans les années 1980), se souvient de son enfance : « Notre café faisait aussi fonction de restaurant et parfois d’hôtel où les voyageurs qui ne voulaient pas monter à Habère-Poche la nuit pouvaient dormir. Il est arrivé que je sois obligée de laisser mon lit… Quant au restaurant, le menu se limitait à la soupe, la tomme et un litre de vin pris au coin de la table de la cuisine. Au cours d’un hiver particulièrement froid, un homme arrivé au dernier train du soir n’a pas voulu rester dormir, il est parti seul dans la neige vers le col de Cou, s’est perdu… On a retrouvé son cadavre à la fonte des neiges. Avant la guerre, j’allais aussi avec ma sœur à la gare chercher les tonneaux de vin ou les colis d’épicerie que nous commandions pour notre commerce. La remontée, avec une voiture à bras, était particulièrement rude… »

Aujourd’hui, la gare est toujours là et le CEVA (acronyme pour : Cornavin Eaux-Vives Annemasse) lui a donné une vitalité qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps.

La gare de Perrignier dans les années 1920. Collection JN.

La gare en 1967. La ligne a été électrifiée en 1972, la halle à marchandises (en arrière-plan) a disparu, remplacée depuis par un parking. Les travaux d’un nouvel espace de stationnement ont débuté à l’automne 2023. Photo JN.

Janvier 2018. Les travaux du CEVA sont annoncés mais pas encore entrepris. Photo JN.